Le « mâle alpha ». Cette expression fait rêver, fantasmer ou enrager. Certains hommes en ont fait un modèle, un idéal de virilité à atteindre pour gagner en assurance et en succès auprès des femmes. D’autres y voient au contraire l’incarnation du « masculin toxique » et du sexisme. Mais que se cache-t-il réellement derrière ce mythe ? D’où vient-il et que signifie-t-il vraiment ? Réponse ici !
Origine du mythe du mâle alpha : de l’éthologie à la psychologie évolutionniste
L’expression « mâle alpha » nous vient du monde animal. En éthologie, la discipline qui étudie le comportement des espèces dans leur milieu naturel, le concept de « dominance » hiérarchique au sein d’un groupe est bien connu.
– Naissance du concept en éthologie animale
On peut faire remonter ce concept aux observations pionnières du naturaliste suisse Pierre Huber sur le comportement des bourdons, au début du 19ème siècle. Mais c’est en 192que le zoologiste norvégien Thorleif Schjelderup-Ebbe forge réellement le concept de « dominance sociale », en étudiant la hiérarchie au sein d’un groupe de poulets pour l’accès à la nourriture. C’est ce que des chercheurs ont rappelé en 2022, à l’occasion du centenaire de cette « théorie de la hiérarchie de dominance ».
Quelques décennies plus tard, en 1947, le spécialiste autrichien du comportement animal Rudolph Schenkel introduit la notion de « mâle dominant » ou « mâle alpha » dans un article décrivant les relations au sein d’une meute de loups en captivité. Le concept est par la suite repris et popularisé chez les primates dans les années 1980 par des éthologues comme Franz de Waal.
– Transposition chez l’humain par la psychologie évolutionniste
Les théories évolutionnistes en psychologie, très en vogue depuis les années 1990, s’emparent alors de ce concept pour l’appliquer… à l’espèce humaine. L’idée est que des mécanismes psychologiques et comportementaux similaires à ceux observés chez certains animaux sociaux auraient été sélectionnés au cours de l’évolution car ils conféraient un avantage reproductif à nos ancêtres chasseurs-cueilleurs.
C’est ainsi que naît toute une imagerie populaire autour de l’« homme alpha » comme idéal masculin de charisme, de virilité et de succès reproductif. Certains ouvrages de vulgarisation assez réductionnistes, comme The Game de Neil Strauss, popularisent l’idée qu’imiter le comportement des « mâles alpha » permettrait aux hommes d’améliorer leurs performances et leur succès avec les femmes. Cela contribue à ancrer ce mythe dans l’imaginaire collectif contemporain.
Le mâle alpha, qu’est-ce que c’est vraiment ? Définition et caractéristiques
Mais au fait, qu’est-ce qu’un « mâle alpha » exactement ? Quelles sont les caractéristiques qui le définissent dans le monde animal ? Faisons le point avant de passer aux humains…
Définition : le mâle reproducteur dominant
Chez de nombreuses espèces animales sociales (loups, primates…), le « mâle alpha » désigne simplement le mâle dominant qui a la priorité d’accès aux ressources comme la nourriture et aux femelles pour la reproduction. Autrement dit, c’est le reproducteur en chef !
Sa position dominante lui permet théoriquement de produire plus de descendants que les autres mâles, maximisant ainsi sa « fitness » ou succès reproducteur darwinien.
Caractéristiques principales :
- Forte imprégnation testostérone corrélée à sa position dominante
- Charisme : sa seule présence suscite fascination et respect
- Aptitude à prendre des décisions pour le groupe et à entraîner les autres derrière lui
- Confiance en soi
- Expression de comportements de domination envers les subalternes (agressions, intimidation…)
Le concept de mâle alpha appliqué à l’humain : limites et controverses
Chez l’humain, la réalité serait en fait bien plus complexe…
La virilité n’est pas tout : l’importance des qualités parentales
D’un point de vue évolutionniste, pour maximiser leur succès reproducteur, les femmes ne chercheraient pas seulement des partenaires virils et dominants. Elles seraient également sensibles à leurs qualités parentales, c’est-à-dire leur capacité à investir des ressources dans les enfants et à participer à leur survie. Un critère qui peut aller à l’encontre de la prise de risque et de la compétition entre mâles.
Le leadership chez l’humain passe par l’empathie…
Contrairement aux espèces animales, le leadership chez l’humain ne passerait pas seulement par la domination physique et l’intimidation des rivaux, mais surtout par des qualités sociales et émotionnelles : capacité à créer des alliances, intelligence politique, empathie…
En témoignent diverses études chez le singe bonobo, un de nos plus proches cousins génétiques. Chez cette espèce à la société matriarcale, les mâles alpha les plus à même de se reproduire ne sont pas les plus agressifs et dominants physiquement, mais ceux qui entretiennent le mieux les relations sociales, en particulier avec les femelles.
…pas par la manipulation !
Contrairement à ce que prétendent certains manuels de « séduction », les femmes ne seraient pas non plus systématiquement attirées par des comportements manipulateurs, même si ceux-ci miment la dominance et le désintérêt feint prêtés aux « vrais mâles alpha » dans le monde animal.
L’idée reçue selon laquelle il suffirait d’adopter une attitude hautaine et dominatrice pour séduire serait donc très réductrice. Même s’il est vrai que certaines femmes peuvent parfois trouver ce genre d’attitude excitante sur le court terme, cela ne garantit nullement de développer une relation épanouie sur le long terme pour la majorité d’entre elles.
Le mythe du mâle alpha chez le loup d’Ellesmere
Un exemple frappant des limites du concept de « mâle alpha » quand on veut l’appliquer aux humains nous vient… du loup d’Ellesmere !
L’étude originelle de Schenkel (1947)
Revenons un instant à l’étude du comportementaliste Rudolph Schenkel de 1947, qui a été la première à décrire le « mâle alpha » chez le loup. Ses observations portaient sur des loups en captivité, regroupés artificiellement à l’âge adulte dans un zoo.
Dans ce contexte très particulier, Schenkel avait effectivement observé qu’un mâle dominant « alpha » imposait sa loi aux autres mâles de la meute. Une hiérarchie très verticale qui a marqué les esprits et influencé nombre de théories sur la dominance sociale par la suite.
Les contre-observations de Mech (1999) dans la nature
Mais qu’en est-il des meutes de loups dans leur environnement naturel ? C’est ce qu’a étudié le zoologiste David Mech à partir des années 1990 sur l’île d’Ellesmere, dans l’Arctique canadien. Ses contre-observations ont été décisives.
Contrairement aux meutes artificielles de zoo, les meutes naturelles sont avant tout des familles : un couple reproducteur et leurs petits nés durant les 2-3 années précédentes. Une fois adultes, les « enfants » quittent simplement le foyer familial pour fonder leur propre meute.
Dans ce contexte, parler de « mâle alpha » pour désigner le père de famille n’a guère de sens : sa position dominante n’a rien à voir avec celle du mâle dominant d’un zoo, qui doit combattre en permanence pour conserver son statut privilégié face à des rivaux.
Cet exemple du loup d’Ellesmere illustre bien les dangers d’une transposition simpliste à l’humain de concepts ethologiques observés en condition artificielle. La réalité est souvent bien plus nuancée.
Que retenir du « mâle alpha » pour la séduction et les relations humaines ?
Au final, faut-il totalement jeter aux orties ce concept de « mâle alpha » ? Pas forcément. Comme souvent, la réalité se trouve entre les deux extrêmes…
– Certains traits de caractère « alpha » sont attractifs, s’ils sont bien dosés
Si l’on exclut les caricatures masculinistes toxiques, il reste que certaines caractéristiques traditionnellement prêtées au « mâle alpha » peuvent effectivement renforcer l’attractivité d’un homme aux yeux des femmes, à condition de bien doser les choses :
- Confiance et estime de soi
- Ambition mesurée et capacité à aller de l’avant malgré les obstacles
- Capacité à prendre des décisions et à mener un groupe, sans écraser les autres
- Charisme, leadership inspirant plutôt que domination brutale
En somme, une saine affirmation de soi, à mi-chemin entre soumission excessive et domination outrancière.
– L’équilibre « alpha/bêta » serait l’idéal
Dans une relation de couple sur le long terme, les femmes seraient sensibles à un équilibre des qualités « alpha » précédemment citées, et « bêta » : attention à l’autre, écoute, capacité à parler de ses émotions…
Bref, un dosage subtil entre caractéristiques de meneur et de séducteur d’un côté, et de compagnon attentionné de l’autre. À l’image, finalement, du chef de meute chez les loups : à la fois leader pour la chasse, et père attentionné au sein de la tanière.
Conclusion
En définitive, le « mâle alpha » est avant tout un concept ethologique, qui décrit le mâle dominant au sein du groupe social de certaines espèces animales. Transposé à l’humain, ce concept mérite d’être nuancé. S’il a l’avantage de valoriser une saine affirmation de soi, prendre trop à la lettre le mythe du « vrai mâle alpha » peut aussi conduire certains hommes fragiles sur la pente glissante du masculinisme toxique. Le juste équilibre est sans doute de cultiver ses qualités de meneur et de séducteur, sans basculer dans la domination à tout prix ni le mépris des femmes. Le fameux « male alpha », s’il a jamais existé chez l’homme, ressemblerait finalement plus à un père de famille attentionné qu’à un mâle reproducteur despotique et solitaire.